Capitalisation/
Comprendre la portée des caractéristiques des parts d'une coopérative
Déterminer les caractéristiques des parts : un pouvoir à utiliser avec jugement
Imaginez la scène suivante : vous rencontrez le représentant de votre établissement financier pour obtenir un prêt, et il vous annonce que vous avez la possibilité de fixer vous-même le taux d’intérêt et le terme de ce dernier, le montant de vos versements et les garanties que vous offrirez… Quel pouvoir! Toutefois, si ce prêt est réellement nécessaire, vous auriez tout intérêt à peser sérieusement le pour et le contre et à proposer un arrangement gagnant-gagnant.
Pour le conseil d’administration, déterminer les caractéristiques des parts d’une coopérative s’apparente à cette situation, à laquelle s’ajoutent toutefois des considérations coopératives.
Les bonnes questions au bon moment...
Déterminer les caractéristiques d’une catégorie de parts demande réflexion et analyse. Mieux vaut se poser les bonnes questions avant plutôt que de gérer des situations compliquées après…
De façon générale, les aspects présentés ci-dessous sont définis dans les caractéristiques des parts.
Le droit d’acquisition
À qui ces parts pourront-elles être émises? Aux membres ou aux employés? À des personnes non membres? Rappelez-vous que les parts privilégiées sont des valeurs mobilières et que leur émission est assujettie à la Loi sur les valeurs mobilières (RLRQ, chapitre V-1.1) et à la surveillance de l’Autorité des marchés financiers.
Le droit, pour les titulaires, de recevoir des intérêts
Ces parts porteront-elles intérêt? Si oui, à quel taux? Ces intérêts seront-ils cumulatifs ou non? Leur paiement sera-t-il prioritaire ou non à d’autres catégories de parts ?
Selon les règles d’action coopérative, le paiement d’un intérêt sur le capital social doit être limité. L’Alliance coopérative internationale définit le taux d’intérêt limité comme « le rendement le plus bas qui serait suffisant pour obtenir les fonds nécessaires ». Le terme « limité » ne signifie pas nécessairement « fixe ». Il pourrait s’agir d’un taux de référence, comme le taux préférentiel des établissements financiers plus ou moins un certain pourcentage, ou d’un taux pouvant varier à l’intérieur d’un intervalle dont le taux maximal est précisé.
Rappelez-vous que, par nature, un intérêt est payable en argent. Si ce n’est pas le cas, les caractéristiques des parts doivent préciser de quelle manière il sera payé. Par exemple, si une coopérative a l’intention de payer des intérêts sous forme de parts, ce qui est permis par la Loi sur les coopératives (RLRQ, chapitre C-67.2), cela doit être clairement indiqué dans les caractéristiques de la catégorie de parts concernée.
Par ailleurs, s’il n’est pas précisé que l’intérêt est cumulatif ou non cumulatif, il sera cumulatif. Dans ce cas, si le conseil juge à propos de ne pas déclarer d’intérêts pour une année donnée, ceux-ci s’accumuleront et le titulaire conservera ses droits sur les arrérages. Par contre, si les intérêts sont non cumulatifs, le droit d'en recevoir s'éteindra pour l'année en question.
Il importe que le taux d’intérêt soit déterminé, déterminable ou plafonné et que les circonstances entourant sa déclaration et son paiement soient suffisamment claires pour ne pas engendrer de litiges éventuels.
La durée de détention
La loi prévoit que les parts privilégiées ne peuvent conférer à leur titulaire le droit de se faire rembourser ou racheter leurs parts avant trois ans. Toutefois, le conseil d’administration peut, à sa discrétion, se réserver le pouvoir de les racheter par anticipation. Un délai minimal de détention est habituellement précisé, puisqu’il s’agit d’une caractéristique fondamentale que les titulaires doivent connaître au préalable.
Les modalités de rachat
Les parts seront-elles rachetables sur décision et à l’entière discrétion du conseil d’administration? Leur date de rachat sera-t-elle plutôt fixée à l’avance? Seront-elles rachetables en série, selon leur ordre chronologique d’émission? Leur rachat est-t-il prioritaire à d’autres catégories de parts? Ce sont là des caractéristiques qu’il importe de préciser clairement dès le départ afin d’assurer une gestion ordonnée du capital et d’éviter d’éventuels imbroglios.
Les priorités de remboursement
Comme pour les modalités de rachat, établir clairement des priorités de remboursement jugées appropriées est un exercice incontournable. Doit-on prévoir, dans les caractéristiques des parts, des situations de remboursement prioritaire lors de circonstances particulières? Décès, retraite, invalidité, démission, exclusion, compassion… Ce sont là autant de circonstances pouvant générer des demandes de remboursement que le conseil d’administration devra évaluer à la lumière des caractéristiques des parts.
Le rang de remboursement en cas de liquidation de la coopérative
Même s’il s’agit d’une situation bien abstraite lorsqu’une coopérative est en développement, il faut quand même réfléchir à ce qu’il adviendrait des parts en cas de liquidation ou de dissolution de cette dernière.
Dans ces circonstances, il est possible que la coopérative ne dispose pas de la totalité des sommes requises pour rembourser toutes les parts en circulation. Le remboursement d’une catégorie de parts sera-t-il prioritaire à d’autres catégories? Si oui, les sommes disponibles ne seraient remises qu’aux titulaires de cette catégorie de parts. Par contre, si un traitement égalitaire est prévu entre les catégories (pari passu), chacun des titulaires recevrait un prorata de ce qui lui est dû.
Clarifier cette question dès le départ et en mesurer les répercussions pourraient permettre, en cas de liquidation, d’éviter des situations non souhaitées en matière d’équité.
L'intérêt sur les parts, une question d'authenticité
Pourquoi la Loi impose-t-elle des restrictions et des limites en ce qui a trait à l’intérêt sur les parts? Tout simplement parce que l’objectif d’une coopérative n’est pas la rémunération du capital, mais la satisfaction des besoins de ses membres. L’avantage que ces derniers retirent de leur coopérative est d’abord et avant tout lié à l’usage qu’ils font de ses services. Fondamentalement, lorsque des excédents sont réalisés et qu’une partie de ceux-ci peut être partagée entre les membres sous forme de ristournes, ces dernières se calculent en fonction de l’usage.
Si par ailleurs, il apparaît légitime de verser un certain intérêt sur les parts privilégiées, cette faculté doit s’exercer dans le respect de l’authenticité coopérative.
Les modalités de rachat et les rangs prioritaires : éviter à tout prix la confusion
Il arrive parfois qu’en cours d’opération, une coopérative ne soit pas en mesure de rembourser toutes les parts de ceux qui en ont fait la demande. Afin de prévenir des situations litigieuses susceptibles de nuire à son image ou d’affecter le climat associatif, elle doit gérer avec rigueur et doigté les demandes de remboursement. Une chose est certaine : des priorités de rachat clairement établies pour chacune des catégories de parts et harmonisées entre elles réduiront passablement ce risque.
Le traitement des demandes ne sera pas nécessairement le même pour les parts sociales et les parts privilégiées. Par exemple, un membre démissionnaire pourrait se faire rembourser ses parts sociales sans que ses parts privilégiées ne puissent bénéficier du même traitement en raison de leurs caractéristiques.
Les parts sociales
Une coopérative peut, par règlement, déterminer l’ordre dans lequel s’effectue le remboursement des parts sociales. C’est donc le règlement qui précise les priorités de remboursement des parts sociales, s’il y a lieu.
Le plus souvent, lorsqu’un ordre de remboursement est prévu, il se fait en fonction de l’ordre chronologique des demandes selon chacune des priorités suivantes :
- décès;
- démission pour cause d’invalidité ou de retraite;
- démission pour raisons autres;
- exclusion.
Les parts privilégiées
Le conseil d’administration détermine les caractéristiques des parts privilégiées au moyen d’une résolution. C’est donc la résolution déterminant les caractéristiques d’une catégorie de parts qui permet de préciser les priorités de remboursement des parts de cette catégorie, s’il y a lieu.
Les caractéristiques des parts : pas de modification sans approbation
Dès qu’une coopérative a émis des parts, elle ne peut, de façon unilatérale, en changer les caractéristiques ou en diminuer les droits sans obtenir le consentement individuel de chaque titulaire : cela constitue un contrat entre eux.
Toutefois, la résolution déterminant les caractéristiques des parts peut prévoir des dispositions permettant aux titulaires de ces parts de donner collectivement leur accord à un changement susceptible d’affecter leurs droits et privilèges ou de signifier leur désaccord envers ledit changement. Un tel mécanisme allège les procédures lorsque des ajustements à la structure du capital, comme la conversion de parts, la création d’une nouvelle catégorie de parts ou la modification de certaines caractéristiques, deviennent nécessaires.
Les dispositions le plus souvent prévues consistent à obtenir l’approbation des titulaires de parts réunis en assemblée extraordinaire, dans une proportion d’au moins deux tiers des voix exprimées par les titulaires présents. Il ne faut surtout pas confondre assemblée des titulaires et assemblée des membres… Une assemblée des titulaires d’une catégorie de parts pourrait, à la limite, ne réunir que des personnes qui ne sont plus des membres!
Lorsque de telles dispositions sont prévues et que des modifications concernant le capital doivent être approuvées, le conseil d’administration :
- convoque une assemblée des titulaires de parts de la catégorie concernée afin de soumettre les changements proposés;
- obtient les approbations requises. Il est à noter qu’un vote défavorable met fin à l’opération;
- adopte la ou les résolutions qui donneront effet aux changements, le cas échéant;
- s’assure que les résolutions et autres inscriptions requises au registre sont bien consignées;
- informe l’ensemble des titulaires de parts de la catégorie concernée des changements effectués.
Si des modifications doivent être apportées à une catégorie de parts pour laquelle aucun mécanisme de modification n’a été prévu, celles-ci devront être approuvées par chacun des titulaires. Le refus d’un seul titulaire mettra fin à l’opération.
Rappelez-vous que...
Il est nécessaire que le conseil d’administration comprenne la signification réelle et la portée des caractéristiques des parts qu’il crée. C’est un prérequis essentiel pour assurer la cohésion de la structure du capital et sa gestion efficace.